Par Esther Alder, Conseillière administrative de la Ville de Genève. Texte paru sur son blog de la TdG le 5 mai 2020.

A la faveur de la crise sanitaire, l’invisible est enfin devenu visible. Samedi 2 mai, une longue colonne de centaines de personnes s’est formée devant la patinoire des Vernets. Elles ont attendu silencieusement, patiemment, parfois pendant trois heures, la distribution d’un sac contenant des produits d’hygiène et des aliments de première nécessité. Organisée par l’association Caravane de solidarité, en collaboration avec Partage, les Colis du Cœur, Médecins sans frontières, les HUG et avec le soutien logistique de la Ville, cette opération a révélé la précarité et la misère dans laquelle vivent des milliers de personnes à Genève. Jamais on aurait imaginé une telle urgence à Genève, crient en chœur celles et ceux dont les yeux sont enfin dessillés par la brutalité des images. Oui, il y a à Genève une pauvreté qui ne cesse de s’étendre. Oui, il y a à Genève des gens qui ont faim, qui n’ont pas les moyens d’assumer leur subsistance et celle de leurs proches, et qui vivent dans une précarité extrême. La crise liée au coronavirus les a jetés dans la misère.

Voilà pour le constat. Maintenant, il est question de relance économique. Mais ce serait une grave erreur de revenir au monde tel qu’il était avant la crise sanitaire, et de continuer à faire confiance à un modèle économique qui crée tant d’exclus et des catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes. Notre logiciel doit impérativement changer, c’est une question de vie ou de mort. Il est clair comme de l’eau de roche que l’idéologie de la maximisation du profit provoque un maximum de dégâts sociaux et écologiques. Vouloir maximiser les profits dans la santé publique a par exemple contribué à augmenter le coût de la catastrophe sanitaire. Les lits disponibles dans les soins intensifs ayant été réduits dans de nombreux pays par des politiques d’austérité, les Etats ont dû procéder à des mesures de confinement massives pour ne pas engorger les hôpitaux, mettant ainsi au tapis l’économie. L’idéologie de la maximisation des profits entraîne chômage de masse, pauvreté, guerres, famines, destruction de la biodiversité, et j’en passe. Combien de temps faudra-t-il pour admettre que ce modèle, qui ne profite qu’à quelques-uns, n’est pas viable à long terme ?

L’urgence, aujourd’hui, c’est la reconstruction sociale. Une reprise économique qui ignorerait les nouvelles priorités mises en lumière par la crise sanitaire serait vouée à l’échec. Une nouvelle pandémie aura tôt fait de creuser encore davantage les failles du modèle actuel, géant aux pieds d’argile désespérément accroché à la maximisation de ses profits. Le bien commun, l’humain, le social et l’écologie doivent se trouver au cœur de la reprise et de la reconstruction de nos sociétés. Si nous ratons ce virage, nous verrons encore souvent de nombreuses personnes faire la queue pour obtenir de l’aide alimentaire à Genève, une des villes les plus riches du monde. Et dans quelques mois, peut-être que ces personnes ne seront pas aussi sages qu’aujourd’hui. Le chômage et la misère finissent toujours par générer violences et troubles sociaux.

Nous avons une occasion unique de nous débarrasser du logiciel ultra-libéral qui détruit le monde à petit feu. Ne passons pas à côté.