[Question écrite] Comment le Conseil administratif prévoit-il le maintien du service public dans les bibliothèques municipales avec l’introduction du prêt et des retours des documents obligatoires aux bornes interactives ?
Cette question écrite est portée par la conseillère municipale Laurence Corpataux.
Depuis une dizaine d’années, les bornes automatiques qui permettent l’emprunt et le retour des livres sans contact avec un.e bibliothécaire ont fait leur entrée dans les bibliothèques municipales. Une telle machine peut ponctuellement satisfaire des besoins d’emprunter un livre en toute discrétion ou de rendre un document rapidement si cela est nécessaire.
Dans un article intitulé « Les machines appelées à rendre les bibliothèques plus humaines » paru dans nota (le journal des bibliothèques municipales, Genève, ville de culture, n. 6 septembre 2023-janvier 2024), il est annoncé qu’à terme les bornes vont se multiplier et que les bibliothécaires ne pourront plus effectuer les emprunts et retours de livres mais que le public sera obligé de faire ces deux opérations auxdites bornes.
L’argument principal avancé dans cet article par les promoteurs de cette évolution est de libérer du temps de « manutention » des bibliothécaires afin de leur permettre d’interagir davantage avec le public. Cet argument va à l’encontre des missions de base des bibliothèques, qui sont de renseigner le public, le conseiller et le former à l’utilisation des bibliothèques (Règlement d’utilisation des bibliothèques municipales LC 21 631.1 du 1er octobre 2016). En effet, le coeur du métier de bibliothécaire est le conseil, qui s’effectue en premier lieu lors de discussions pendant les opérations de prêt et de retour des livres. Le premier lien entre les bibliothécaires et les usagères et usagers se tisse lors de ces moments. Et qui mieux que les bibliothécaires peuvent contribuer à accompagner dès le plus jeune âge leur public dans ce monde où l’éducation à l’information est un enjeu sociétal majeur ?
Ainsi, la décision d’obliger le public à emprunter et rendre des documents aux bornes interactives pose les questions suivantes :
- Comment les bibliothécaires pourront-ils continuer à faire du conseil personnalisé pour chaque usager.ère et établir une relation avec chacun.e sans les échanges lors des retours de livres ?
- Comment les enfants vont-ils entrer en contact avec les bibliothécaires et créer un lien durable avec eux puisqu’il sera plus amusant pour eux d’aller à la borne ?
- Comment les bibliothécaires pourront former le public à l’utilisation de l’information (une des missions de bases des bibliothèques en tant que service public), notamment les enfants et adolescent.es, si ces derniers n’ont plus l’habitude de s’adresser à un.e professionnel.le de l’information ?
- Comment peut-on garantir avec une machine qu’un enfant n’empruntera pas un document dont les images pourraient le heurter (par exemple les mangas : jusqu’à aujourd’hui, un enfant empruntant un manga violent destiné à un public adolescent se voyait orienté au moment de l’emprunt par un.e bibliothécaire sur un livre adapté à son âge) ?
- Comment le Conseil administratif a-t-il prévu de réorganiser les missions des bibliothécaires, s’ils ne font plus les gestes qui sont à la base de tout échange entre le public et les professionnel.es, afin qu’ils puissent continuer à renseigner, conseiller et former le public à l’utilisation des bibliothèques (selon le règlement des BM) ?
- Qu’est-il prévu pour que le contact avec les bibliothécaires reste facilité pour les personnes plus timides ou qui ont peur de déranger ?
- Comment le Conseil administratif a-t-il prévu que les bibliothécaires continuent à bien connaitre leur public et ses besoins, sachant qu’avec l’introduction des bornes pour le retour la majeure partie du public ne s’adresse plus à un.e bibliothécaire ?
- Comment à une époque où le lien social est plus nécessaire que jamais, et que les bibliothèques sont un des lieux publics favorisant le lien social, est-il possible qu’une publication de la Ville de Genève édite un article intitulé « Les machines appelées à rendre les bibliothèques plus humaines » ?
- Comment le Conseil administratif peut-il garantir qu’à long terme le remplacement des professionnel.les de l’information par des machines pour les prestations de base ne va pas engendrer une diminution du personnel ?
- Comment le Conseil administratif peut-il expliquer que les opérations de manutention des bibliothécaires seront réduites au profit d’autres activités, puisque les retours aux bornes vont compliquer les opérations de réservations d’ouvrages et de contrôle de l’état des documents, entre autres exemples ?
- Comment le Conseil administratif a-t-il évalué l’impact écologique de la multiplication des bornes, de leur entretien et de leur remplacement ?