Frédérique Perler : « Une infrastructure piétonne, ce n’est pas du luxe! »
Carte de visite emblématique de Genève, la rade mérite mieux pour l’admirer qu’un trottoir encombré de touristes et de passants. Véritable promenade agrémentée d’un banc en bois avec vue sur le paysage, la passerelle piétonne du Mont-Blanc constituera une plus-value et jouera un rôle crucial d’infrastructure de mobilité douce en plein centre-ville: le «U cyclable» sera enfin complété sur le pont actuel alors que les piétons auront leur propre espace, sur un nouvel ouvrage élégant, doublé d’un exploit technologique qui assurera une insertion discrète.
Texte paru dans la rubrique Invitée de la Tribune de Genève du 10 janvier 2024. Image de synthèse du projet de Pierre-Alain Dupraz Architectes qui a remporté le concours pour la passerelle du Mont-Blanc.
Frédérique Perler
Cette passerelle est attendue depuis de longues années, notamment par les associations en faveur des mobilités douces et le Conseil municipal. Son principe et son financement ont été votés par les Chambres fédérales et le Grand Conseil dans le cadre du premier projet d’agglomération (2007). À mon arrivée à l’Exécutif de la Ville en 2020, il a fallu débloquer ce dossier en reprenant le dialogue avec la CGN et en trouvant des solutions. J’ai proposé ce crédit au Conseil municipal non sans avoir obtenu l’appui généreux d’une fondation privée. Ainsi, sur un crédit global de 54 millions, le montant à la charge de la Ville sera de 26 millions.
’entends les critiques. Oui, c’est cher. Mais les infrastructures le sont toujours, surtout en Suisse où les salaires sont élevés, et surtout avec les coûts actuels des matériaux. Dans le cadre prestigieux de la rade, on ne peut se satisfaire d’un bricolage au rabais. Et bronche-t-on autant face aux dépenses bien supérieures consenties pour le trafic motorisé? Exemple: la réfection de la jonction autoroutière du Grand-Saconnex, avec son pont haubané certes plus large que la future passerelle, mais aussi plus court, a coûté 240 millions.
Investir pour la mobilité piétonne et cycliste est un enjeu majeur de notre temps et répond à de vrais besoins. Genève est la ville suisse où l’on marche le plus et les comptages cyclistes y sont en forte hausse d’année en année. Pour accompagner cet engouement favorable à l’environnement, on ne peut se contenter de trottoirs étriqués ou d’itinéraires cyclables sinueux, comme celui que doit emprunter aujourd’hui un vélo le long du «U cyclable».
Pour d’autres voix critiques, un coup de peinture sur le pont du Mont-Blanc suffirait à transformer une voie routière en piste cyclable. Mais il y a de gros bémols. D’abord, cette option n’offrirait pas aux piétons le niveau de confort que la passerelle leur promet, éloignée du trafic.
Ensuite, le réalisme politique s’impose. Le Canton est seul compétent pour réglementer la circulation sur le pont du Mont-Blanc. Or il ne compte pas y sacrifier une voie motorisée à moyen terme et, s’il le faisait un jour, il privilégierait sans doute les bus. L’État serait en revanche bien inspiré de compléter le «U cyclable» sur le quai Général-Guisan pour éviter la cohabitation précaire des cyclistes et piétons dans le Jardin anglais.
Sans passerelle, ces derniers n’obtiendront aucune embellie avant longtemps. Personne ne se plaindra jamais de disposer de trop d’espace dans ce site aussi central. Et je reste convaincue que la mobilité douce mérite des investissements à la hauteur des bénéfices qu’elle apporte à toute la société.