Omar Azzabi

Conseiller municipal

Si les questions relevant de l’asile ne sont pas de compétence communale, les villes sont souvent les « derniers remparts » contre les politiques restrictives pratiquées par les autorités fédérales et cantonales, comme l’a rappelé la Conseillère administrative Christina Kitsos lors des dernières plénières du Conseil municipal. C’est pourquoi ce dernier a accepté une motion (M-1716) demandant au Conseil administratif d’intervenir auprès du Canton afin de permettre la régularisation de personnes demandant l’asile vivant sur le territoire depuis plus de 5 ans et démontrant une intégration « poussée ». Pour ce faire, le Canton devra, comme la Loi sur l’Asile (LAsi) le prévoit déjà pour ces « cas de rigueur », demander la validation de l’instance fédérale compétente : le Secrétariat d’Etat aux Migration (SEM). Le Conseil administratif interviendra également pour demander au Canton de surseoir aux renvois vers des pays où les personnes renvoyées seraient menacées de violences, de privation de liberté, de négation de leurs droits fondamentaux.

La Ville de Genève et ses contribuables sont en droit d’attendre du changement dans la politique de l’asile en Suisse puisqu’ils sont les premiers à en payer le prix : écoles, associations caritatives, sociales ou dans la migration, aides alimentaires et de produits de première nécessité, traductions et prises en charges administratives, etc. Autant de domaines que notre commune finance à travers ses subventions car elle prend ses responsabilités envers sa population quand le Canton et la Confédération se renvoient la balle, faisant preuve d’irresponsabilité et de cécité.

Ce texte socialiste, porté en urgence par le groupe Ensemble à Gauche permet de dénoncer l’impuissance de la commune face aux renvois des demandeuses et demandeurs d’asile débouté-e-s. Il permet à la Ville de ne pas passer sous silence ses responsabilités en tant que capitale des droits humains, et enfin, il met en lumière le pénible parcours des personnes qui partent pour trouver refuge en Suisse.

La légitimité du départ

En 2022, les demandes d’asiles déposées en Suisse ont augmenté de plus de 60% par rapport à l’année précédente, soit un peu plus de 24’000 demandes[1]. Mais d’où viennent-ils et pourquoi ? 6’700 nouvelles demandes d’Afghanistan avec le retour du régime taliban, 3’700 demandes de Turquie avec un régime autoritaire en place et des minorités turques dont la persécution n’est plus à démontrer. Suivent ensuite l’Erythrée avec une dictature et des obligations militaires sans fin terrorisant la population, l’Algérie avec une paupérisation toujours plus grandissante et un pouvoir militaire qui n’est toujours pas capable de faire vivre sa jeunesse et enfin la Syrie dont le retour en exergue du leader dictateur sur la scène internationale n’offre aucun espoir pour les opposants et les minorités du pays. Autant de raisons amplement légitimes pour n’importe quel être humain de vouloir partir, changer de vie et simplement aspirer à autre chose qu’à la souffrance.

Notre pays ne peut simplement ignorer en fermant les yeux ces contextes politiques et économiques dans le Sud parce que 2/3 de nos émissions de CO2 sont produites à l’étranger, dans ces pays, par nos propres entreprises[2] mais aussi parce que nous sommes le 11e producteurs d’armes de la planète. En 2022, la Suisse a exporté près de 955 millions de francs d’armes dans le monde, un record absolu tout année confondue[3]. Plus largement encore, les inégalités entre les pays et en leurs seins résultent d’un système qui favorise les économies des grandes puissances occidentales, dont la Suisse.

La faiblesse de l’accueil et la violence des renvois

Lors de leur arrivée en Suisse, les personnes requérantes d’asile sont majoritairement logées dans des hébergements collectifs, et notamment des centre d’accueil. Ces espaces souvent exigus sont critiqués pour leur règlements rigides proche du milieu carcéral, l’absence d’encadrement social et de protection pour les plus vulnérables, ou encore la difficulté d’accès à des soins médicaux de base[4]. Rappelons que l’hébergement ainsi que l’assistance des réfugié-e-s reconnu-e-s et des personnes admises provisoirement est une responsabilité cantonale. Concernant leurs moyens de subsistance, ils dépendent du statut de la demande : une aide sociale d’une quinzaine de francs par jour est remise, le plus souvent en nature, pour les personnes dont la demande est en traitement ou celles admises provisoirement. Les personnes déboutées ou pour lesquelles la Suisse n’entre pas en matière peuvent recevoir une aide d’urgence d’environ 10 francs par jour [5].

Au terme du traitement de leur dossier, les personnes peuvent être reconnues comme réfugiées, être admises provisoirement si le renvoi n’est pas possible, ou faire l’objet d’une décision de non-entrée en matière ou d’une décision de renvoi. Le canton a ici la possibilité de demander la régularisation des personnes correspondants au critères des « cas de rigueur », mais il ne le fait pas toujours.

Concernant les renvois, nous constatons que notre Conseil d’Etat à commencer par le Ministre de tutelle Poggia ne s’aventurait que trop peu souvent dans les injonctions autoritaires du SEM qui dicte les renvois de ces requérant-e-s dans des pays « tiers » qui seraient responsable de mener la procédure d’asile ou d’accueillir la personne si elle y a séjourné.  Ce sont souvent l’Italie, la Grèce, la Croatie, la Bulgarie ou la Serbie, des pays « surs » selon le Conseil fédéral, des pays ou le traitement des requérants d’asile se fait selon les règles sans contexte de discrimination ethnique, religieuse ou raciale particulières. Néanmoins, les Nations Unies ainsi que de nombreuses ONG spécialistes de la migration ont documenté des traitements bien différents à l’égard de ces requérant-e-s, des traitements qui incluent : renvois sommaires, violences physiques ou psychiques, conditions d’accueil indignes, etc. Une situation qui requiert des autorités cantonales et fédérales un certificat médical alléguant du risque suicidaire en cas de renvoi à l’appui.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme devrait se prononcer sur ces renvois puisque l’avocate Me Batou a porté plainte puisque ces décisions de renvoi violent notamment l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit les traitements inhumains et dégradants. L’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés va dans le même sens : « Le Tribunal Administratif Fédéral soutient le SEM dans la mesure où il estime que rien n’indique que la Croatie enfreint ses obligations en matière de droit international. Au vu des nombreux éléments très bien documentés et des deux condamnations de la Croatie par la Cour EDH, l’OSAR considère que cette déclaration est incompréhensible. Il n’est pas non plus réaliste d’avancer que les personnes renvoyées vers la Croatie peuvent recourir à la voie judiciaire pour se défendre contre les mauvais traitements qu’elles subissent. L’OSAR maintient donc sa position selon laquelle il faut renoncer aux renvois vers la Croatie. Lorsqu’un tel renvoi est tout de même exécuté, il convient d’obtenir des garanties individuelles afin d’assurer une arrivée adéquate. »

Le silence c’est la connivence

L’ensemble de ces éléments pousse aujourd’hui le délibératif à crier haut et fort son désespoir et sa colère face à un système d’asile inefficace qui ne permet aucunement à un-e requérant-e de s’intégrer en toute dignité dans notre pays et notre canton. Des autorités qui tardent à mettre les moyens suffisants pour cadrer l’accueil de ces requérants d’asile et éviter les suicides et la violence. Une droite cantonale qui refuse de garantir les conditions de santé psychologique avant l’injonction fédérale pour un renvoi de ces requérants appliquant froidement et de manière inhumaine une loi et une jurisprudence qui ne demandent qu’à être remis en cause suite aux cas de suicide dans les centres d’asile genevois dont nous sommes responsables.

C’est pourquoi Genève, capitale mondiale des droits humains ne se tait pas, et exige l’application des cas de rigueur lorsqu’il est possible et l’arrêt immédiat des renvois vers des pays tiers dénoncés par les organisations qui défendent les droits humains.

 

[1] « Asile : statistiques de 2022 », communiqué de presse du SEM du 13 février 2022, accessible en ligne

[2] « La pollution suisse est produite pour deux tiers à l’étranger », article paru sur Swissinfo.ch du 20 février 2018, accessible en ligne 

[3] « Les exportations de matériel de guerre suisse atteignent un montant record », sujet de la RTS du 7 mars 2023, accessible en ligne 

[4] « Hébergement », article de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés, accessible en ligne 

[5] « Une assistance différenciée… et excluante », article paru sur Asile.ch, accessible en ligne